Albert Londres – Journaliste
1er novembre 1884 – 16 mai 1932
par Éric Labayle
Albert Londres est né le 1er novembre 1884 à Vichy. Il est issu d’un milieu modeste. L’un de ses grands-pères est chaudronnier, l’autre est colporteur et ses parents vont tenir une pension de famille « la Villa Italienne ». Très vite, l’enfant témoigne d’un goût prononcé pour les lettres. Fervent lecteur des grands auteurs du XIXe siècle, il a notamment un penchant pour les oeuvres de Victor Hugo et Charles Baudelaire.
Toutefois, après des études secondaires au lycée de Moulins, en 1901, il quitte l’Allier pour Lyon où il occupe un emploi de commis aux écritures au service comptabilité de la Compagnie Asturienne des Mines. Consacrant le plus clair de son temps libre à l’écriture, il rédige à cette époque quelques poèmes de facture classique, ainsi qu’un chant tout en vers à la gloire de Léon Gambetta. Rien qui puisse le faire passer à la postérité…
En 1903, Albert Londres « monte » à la capitale. Il y fréquente les
milieux littéraires, en compagnie de ses deux amis venus de Lyon avec
lui : Henri Béraud (futur journaliste) et Charles Dullin (qui se destine
à une carrière de comédien). François Coppée, notamment, exerce une
influence notable sur le jeune homme. Mais après la publication de
quelques textes poétiques (dont La Marche aux Étoiles, une oeuvre en
vers consacrée aux pionniers de l’aviation), celui-ci abandonne vite ses
ambitions lyriques. Un nouvel emploi lui donne l’occasion de mettre à
profit plus utilement son penchant pour l’écriture : en 1904, il devient
correspondant à Paris du journal lyonnais Le Salut Public. Cette
première expérience du journalisme éveille en lui une véritable
vocation. Après deux ans, il est embauché par le grand quotidien Le
Matin, pour lequel il rédige des chroniques politiques. Réformé du
service militaire, il n’est pas mobilisé lorsque éclate la guerre en
1914. Il travaille alors comme reporter à la Chambre des députés.
La première guerre mondiale constitue pour Albert Londres une aubaine
inestimable, un véritable coup de pouce du destin. Mais cette chance, le
journaliste sait la saisir au moment opportun. En septembre 1914,
quittant Paris, il se rend de sa propre initiative dans la ville de
Reims, qui vient juste d’être libérée à l’issue de la bataille de la
Marne. Il y assiste au bombardement allemand sur la cathédrale. De cette
expérience, il tire un article qui aura un énorme retentissement : « Ils
bombardent Reims », paru dans Le Matin du 21 septembre 1914. Son style
nouveau, alerte, vivant et enflammé, au service de l’un des grands
symboles du patriotisme français (la cathédrale de Reims bombardée par
des Allemands sans foi ni loi), lui vaut, contrairement aux usages du
Matin, de signer l’article de son propre nom. C’est le début de la
célébrité et Albert Londres devient ainsi le premier correspondant de
guerre français.
Après quelques mois passés entre le front, la rédaction du Matin et des
démêlés avec le commandement militaire, il franchit une nouvelle étape
en s’embarquant pour les Dardanelles, en 1915. Ce départ marque aussi sa
rupture avec son ancien employeur. C’est pour le Petit Journal qu’il
travaille désormais. Des Balkans aux tranchées de France, il passe le
reste de la guerre au plus près du front, partageant avec les Poilus la
misère des cantonnements et livrant ses expériences à ses lecteurs. Dans
ses articles, le pittoresque côtoie le compte rendu objectif.
L’éloquence est mise au service du récit. La réflexion est libre. Cette
liberté de ton ne plait pas aux militaires, qui se méfient de celui dans
lequel ils voient volontiers un personnage « insolent », difficilement
contrôlable. Mais comme ses articles remportent un succès grandissant,
l’autorité militaire est obligée de composer avec ce journaliste
atypique et « insubordonné ».
« La Victoire, quel alcool ! », écrit Londres après l’armistice de
novembre 1918. Mais une fois dégrisé des joies de la paix recouvrée, le
reporter doit se trouver de nouveaux terrains d’investigation. En
septembre 1919, il « couvre » pour le magazine Excelsior le coup de force
de Gabriele d’Annunzio sur Fiume. Il ne cache pas dans ses articles la
sympathie que lui inspire le mouvement romantico-politique du poète
italien, ce qui lui vaut l’inimitié de Georges Clemenceau, tenant des
traités de paix, qui voyait d’un mauvais oeil de telles initiatives.
Quittant l’Europe pour le Moyen-Orient, Albert Londres se rend ensuite
en Syrie et au Liban, où le mandat français se met en place, non sans
mal ni combats. Les articles qu’il y rédige tiennent à la fois de
l’analyse de la domination franco-britannique sur les anciennes
provinces ottomanes que du roman d’aventure.
Mais le coup de Fiume comme les mandats orientaux ne sont que des sujets
périphériques pour le grand reporter. La Russie, qui a basculé dans la
révolution depuis 1917 lui offre d’autres espaces, à la mesure de ses
ambitions. Les Bolcheviks ont quasiment coupé le pays du reste du monde
et la guerre civile n’arrange rien. Albert Londres sait qu’il y a là un
magnifique sujet d’investigation. Mais pour rendre compte à ses lecteurs
de l’état de la Russie, encore faut-il pouvoir y entrer ! Après
plusieurs démarches auprès du ministère des Affaires étrangères, l’aide
financière dont il a besoin lui est refusée. Il avait bien proposé aux
autorités françaises de jumeler son travail de journaliste à une
activité clandestine de déstabilisation du régime bolchevique, mais rien
n’y a fait. Lorsqu’il quitte Paris pour les pays baltes, il n’a pas un
sou vaillant.
Ce handicap matériel ne le freine pourtant pas. Passé d’Estonie en
Finlande, il arrive à Petrograd après 52 jours de périple. Le voici à
pied d’œuvre. Ce qu’il voit le révolte et ses comptes rendus sont dénués
de toute nuance : l’ancienne capitale des Tzars n’est plus « qu’une
sinistre cour des miracles » peuplée de mendiants affamés, le régime
bolchevique est une « monarchie absolue. Seulement, le monarque, au lieu
de s’appeler Louis XIV ou Nicolas II, se nomme Prolétariat Ier », Lénine
est dépeint comme « un expérimentateur », une sorte de savant fou « vêtu
d’une blouse de chercheur et une éprouvette (rouge, bien entendu) entre
les mains » qui n’a que faire du peuple. « Les cobayes de Lénine, ce sont
des hommes. Il en a tué déjà des centaines de mille ». Le tableau que
brosse Albert Londres de la Russie bolchevique est sans appel. Avec le
recul, on est en droit de se demander si cette outrance dans le langage
n’était pas, en fin de compte, que le reflet fidèle d’une époque
outrancière… Car s’il s’enflamme, le journaliste sait également se
faire l’observateur impartial de son temps, sans parti-pris politique ni
social. Ainsi pourra-t-il passer pour un homme de droite à la lecture
de ses articles sur la Russie, aussi bien que pour un homme de gauche à
celle de ses récits du bagne de Cayenne…
Après la Russie, Londres parcourt l’Europe orientale, puis il part pour
l’Asie en 1922. Ses articles abordent alors tous les sujets : de
l’émergence des mouvements indépendantistes en Inde à la description
d’un Japon pittoresque où les femmes « ont des chaussettes à deux
compartiments »… Une fois encore, le grand observateur qu’il est
n’hésite pas à marier les genres les plus dissemblables, pour produire
un témoignage d’une grande richesse.
L’année 1922-23 est également celle d’un reportage qui fera grand bruit : celui sur le bagne de Cayenne. Avec l’aide du gouverneur général de la Guyane Canteau, Albert Londres fait découvrir aux lecteurs du Petit Parisien les rudes conditions de vie des bagnards dans cette « usine à malheur ». Il n’est certes pas le premier journaliste à s’être intéressé au sujet, mais là où les autres se sont attachés à l’aspect folklorique des choses, il préfère se faire le témoin d’une certaine réalité. Avec sa verve habituelle, il brosse de saisissants portraits des condamnés, relate leur quotidien, évoque leurs rêves (et surtout celui de l’évasion) et compose même une chanson sur le sujet ! Prenant fait et cause pour Eugène Dieudonné, un bagnard évadé qui clame son innocence (ouvrier anarchiste, il avait été condamné lors du procès de la Bande à Bonnot), il plaide en sa faveur dans ses articles, avec une telle éloquence que l’opinion publique s’en émeut. Le dossier est rouvert. Un second procès a lieu, qui aboutit à la grâce de Dieudonné. Mais ce succès ne doit pas cacher la teneur réelle des écrits de Londres : au-delà des conditions carcérales, il dénonce le retard économique et social de la Guyane (« Peut-être dans 5.000 ans verra-t-on une deuxième statue à Cayenne : celle de l’homme qui aura construit le port ») et amorce une réflexion sur le statut des condamnés. Une fois revenu en métropole, il écrit une lettre de doléances au ministre des Colonies Albert Sarraut, dans laquelle il réclame un salaire pour les bagnards, une assistance médicale plus sérieuse, la suppression des peines doublées, une réorganisation administrative du bagne, etc. Si cette démarche n’obtient pas de réponse concrète sur l’instant, elle laisse une empreinte profonde dans la l’opinion française. En 1929, Dieudonné joue même son propre rôle dans une pièce de théâtre à Paris ! Partant du témoignage du reporter, d’autres après lui vont s’intéresser au bagne avec un regard neuf et plus d’humanité. On est en droit de penser que les articles d’Albert Londres sont en grande partie à l’origine de l’évolution qui aboutira en 1938 au décret-loi du gouvernement Daladier sur le bagne de Guyane.
A partir de 1923 et sous la direction de son ami Henri Béraud, les
articles de Londres commencent à être publiés en livres, sous forme de
recueils. Le journaliste sort alors du cadre strict de la presse et de
la relation de l’instant présent. Ses textes rassemblés constituent dès
lors de véritables études sur son époque. En même temps que son style,
Albert Londres s’est forgé un personnage tout à fait particulier :
coiffé d’un chapeau de feutre taupé à larges bords, barbu, il affecte
une allure de poète rêveur et bohème. Le type même du globe-trotter a
désormais un visage : le sien. Il a également une ligne de conduite : la
sienne. N’acceptant ni les consignes, ni les pressions, il n’hésite pas
à rompre avec plusieurs des journaux qui l’emploient (Le Quotidien ou
Le Petit Journal notamment), qu’il juge trop proches du pouvoir
politique.
Il ne recherche pas l’objectivité, témoigne toujours à la première
personne. Il ne cherche pas le consensus : il porte « le fer dans la
plaie ».
En 1924, dans la foulée de son reportage sur Cayenne, Albert Londres se
rend en Algérie, où il visite le bagne militaire de Biribi. Une fois
encore, le journaliste dénonce en décrivant et ses écrits obtiennent un
large écho. Sous sa plume, les Français découvrent les sévices
corporels, les punitions humiliantes, les gradés sadiques ou les
mutilations volontaires des condamnés désespérés.
Entre deux reportages sur le Tour de France, ce voyageur insatiable ne
cesse de parcourir le monde, au détriment de sa vie privée. Sa fille
unique, Florisse, née en 1904 de son union avec Marcelle, sa compagne
morte à 23 ans avant même d’avoir eu le temps de se marier avec lui, en
témoigne : « La première fois que j’ai vu mon père, c’était sur un quai
de gare.. La dernière fois qu’il m’apparut, j’avais 27 ans. Il me
souriait à la porte d’un wagon ». Même lors de ses séjours en France, il
trouve le temps de porter à la connaissance du public des sujets aussi
douloureux que les dysfonctionnements du système psychiatrique national
ou le proxénétisme à Pigalle. Plus légers, ses reportages sur Marseille
mettent l’accent sur le cosmopolitisme de cette ville qu’il qualifie de
« Porte du Sud ». (…)
En 1928-29, Albert Londres est en Afrique Noire. Il y visite notamment
le chantier de la voie ferrée qui doit relier Brazzaville à
Pointe-Noire. Le tableau qu’il en brosse est épouvantable : les ouvriers
meurent par milliers et des populations entières sont décimées en
servant de vivier de main d’œuvre à cette entreprise meurtrière. Ses
reportages pour le Petit Parisien sont rassemblés dans Terre d’Ebène, un
livre-réquisitoire paru en 1929, qui obtient un grand succès, mais qui
attire à son auteur les foudres des autorités coloniales. Des campagnes
de calomnie sont lancées à son encontre, mais rien ne le perturbe dans
sa quête du témoignage.
En 1929, il enquête sur la communauté juive en Europe de l’Est. Il
découvre alors les vexations quotidiennes d’un peuple qui souffre. De
fil en aiguille, il suit la route des émigrants et se rend en Palestine,
pour savoir si l’idée d’un « foyer national » juif est valide ou non. Ses
conclusions son mitigées : « la Palestine ne résout pas tous les
problèmes ». Non sans raison, Londres voit dans la haine des Arabes
autochtones, comme dans le manque de tact (« l’orgueil des jeunes
troupes ») des nouveaux arrivants Juifs, un obstacle de taille à
l’application de la déclaration Balfour. Son analyse est frappante de
lucidité.
Profitant de son nouveau voyage au Moyen-Orient, il poursuit sa route
jusqu’en Arabie, où il essuie plusieurs échecs : l’accès à la Mecque lui
est refusé et son interview du roi Ibn Séoud se solde par une fin de
non recevoir. Faute de mieux, il part sur la mer Rouge à la rencontre
des pêcheurs de perles…
Le dernier grand reportage d’Albert Londres est publié dans Le Petit
Parisien en 1931. Il concerne les Balkans, et plus précisément la lutte
des Comitadjis macédoniens contre le dépeçage de la Macédoine entre la
Bulgarie, la Yougoslavie et la Grèce.
L’année suivante, le 53e périple du journaliste doit le conduire en
Chine. Le sujet de cette nouvelle enquête est à sa mesure. Depuis
l’agression japonaise de 1931, la Chine est en guerre. Le pays est en
proie au chaos et aux « éclats de rire devant les droits de l’homme ». Et
ce qu’il découvre à Hong-Kong et à Shanghaï est terrifiant : trafic
d’armes et d’opium, viols, tyrans locaux, pillages, exactions en tous
genres perpétrées par les communistes chinois… Lorsqu’il s’embarque
sur le « Georges Philippar » pour revenir en France, début mai 1932, il
possède la matière d’une série d’articles exceptionnelle.
Mais Albert Londres ne pourra jamais livrer ses révélations à ses lecteurs. Le 16 mai 1932, le « Georges Philippar » est détruit par un incendie alors qu’il s’apprêtait à entrer en mer Rouge. Le journaliste fait partie de la quarantaine de personnes tuées dans le sinistre.
On a beaucoup écrit sur les origines de cet incendie. Peut-être était-il criminel ? Peut-être même était-il destiné à empêcher Albert Londres de publier certaines des informations sulfureuses glanées en Chine ? Quoi qu’il en soit, cette disparition brutale met un terme à une existence hors du commun, alors même que Londres songeait à faire une pause, pour fonder un foyer et se rapprocher de sa fille. Le destin ne lui en aura pas laissé le temps.
Repères Chronologiques
1884 – Naissance d’Albert Londres à Vichy. Il passe son enfance à la Villa Italienne, pension de famille tenue par ses parents. Il dévore les œuvres d’Hugo et Baudelaire.
1901 – Après des études au lycée de Moulins, il part pour Lyon et entre à la Compagnie Asturienne des Mines en tant que comptable. Albert s’ennuie et développe une passion pour le théâtre et la poésie en compagnie de ses amis, le futur reporter Henri Béraud et le comédien Charles Dullin.
1903 – À Paris, il s’installe avec son amie Marcelle à l’hôtel de l’Univers, Cité Bergère. Il fréquente le poète François Coppée et publie des recueils de poèmes, dont La Marche aux étoiles, en hommage aux aviateurs. 1904 – Sa compagne lui donne une fille, Florise, mais décède onze mois après. Albert Londres a vingt ans., il devient le modeste correspondant parisien du Salut Public de Lyon.
1906 – Il entre au Matin. Là, il couvre les couloirs de la Chambre des Députés et rédige des papiers qu’il ne signe pas.
1914 – Le 1er août 1914, la guerre est déclarée. Londres a trente ans, mais comme il est réformé, Le Matin l’affecte au ministère de la Guerre à Reims, puis enfin au front où il devient correspondant de guerre. Dorénavant, il signe ses reportages. Ses papiers font sensations, son style détonne : plutôt que de se réfugier derrière l’objectivité, il écrit à la première personne. Il raconte ce qu’il voit, ce qu’il ressent et ce qu’il sait.
1915-18 – Londres se rend au sud-est de l’Europe, là, où, pense-t-il, tout se joue. Ayant rompu avec Le Matin, c’est pour Le Petit Journal, le quotidien le plus lu en France, qu’il raconte les combats de l’armée d’Orient. Il erre sur les fronts de Serbie en Grèce et de Turquie en Albanie. De retour en France, il couvre la fin du conflit sur les tranchées du nord, mais ses relations avec l’Armée sont tendues. La censure militaire le taxe d’insubordination et d’insolence.
1919 – Il parcourt l’Espagne, puis l’Italie, et met en évidence les bouleversements apportés par le bolchevisme et le nationalisme qui agitent les esprits en Europe. Renvoyé du Petit Journal par Clemenceau pour ses propos sur l’Italie, Londres écrit désormais pour L’Excelsior. Au Proche-Orient, au Liban, en Syrie, en Égypte, il traite du problème de la domination franco-britannique.
1920 – Le reporter réussit à entrer dans la toute jeune U.R.S.S. Il enquête sans complaisance, décrit le régime naissant et raconte les souffrances du peuple.
1922 – En Inde, il rencontre Nehru et Gandhi et se fait l’écho du vent de rébellion qui souffle sur ce vaste pays encore sous domination britannique. En Chine, il dépeint un invraisemblable chaos dans un style qui rappelle celui d’Hugo Pratt. Il flâne aussi en « touriste professionnel » au Japon.
1923 – Ses reportages sont publiés sous forme de recueil chez Albin Michel dans une collection dirigée par son ami reporter Henri Béraud. Maintenant au Petit Parisien, qui a couvert de nombreux champs de batailles, Londres s’attaque aux problèmes français. Son reportage au bagne de Cayenne connaît un énorme retentissement aussi bien auprès du public qu’auprès des institutions. Il y fustige un système carcéral aussi inhumain qu’inefficace.
1924 – Il récidive en Algérie où il visite les bagnes militaires. Ces articles pour Le Petit Parisien seront réunis dans un livre au titre explicite : Dante n’avait rien vu.
1925-27 – Il dénonce ensuite les tares de la psychiatrie à la française avant d’enquêter sur le Tour de France qu’il appelle « tour de souffrance ». Enfin il s’attaque aux proxénètes de Pigalle et à la traite des blanches en Argentine. Puis, Londres apprend qu’un forçat rencontré à Cayenne s’est échappé. Il s’agit d’Eugène Dieudonné, un menuisier anarchiste condamné sans preuve lors du procès de « La bande à Bonnot ». Londres le retrouve au Brésil, raconte les péripéties de l’évasion et obtient que Dieudonné soit gracié.
1928 – À la suite de la parution de Voyage au Congo d’André Gide, Albert Londres entreprend un voyage de quatre mois, du Sénégal au Congo. Son récit picaresque tourne à l’épouvante quand il découvre les chantiers de la voie ferrée Brazzaville-Pointe Noire et les exploitations forestières des alentours : des Africains y meurent par milliers. Lui qui n’est pas anticolonialiste s’insurge contre la situation des populations indigènes et réclame des réformes urgentes et radicales. Albert Londres est devenu une vedette. Une pièce se donne au théâtre du Nouvel Ambigu : Au bagne, adaptation de son reportage à Cayenne ; Dieudonné y tient un rôle.
1929 – Sur les traces du « Juif errant » dans les sombres ghettos d’Europe de l’Est, il enquête sur l’émergence du sionisme en Palestine et découvre la profondeur de l’ostracisme dont sont victimes les Juifs.
1931 – Londres échoue ensuite à enquêter sur les conséquences de l’exploitation du pétrole dans le golfe Persique. Dépité, il fait un reportage sur les pêcheurs de perles du golfe et de la mer Rouge. Sa dernière enquête publiée l’entraîne dans les Balkans où il décrit les mécanismes du terrorisme des Comitadjis, nationalistes macédoniens qui s’élèvent contre la division de leur terre entre Bulgarie, Serbie et Grèce.
1932 – Il part en Chine pour Le Journal. Les Japonais envahissent le pays. Londres suit les évènements puis s’embarque pour la France sur le Georges-Philippar. À bord, il se confie à un couple et évoque le trafic d’armes et d’opium. « C’est de la dynamite », leur dit-il. Mais le 16 mai, à Aden, un incendie se déclare à bord du navire. Soixante-sept personnes disparaissent au cours de la catastrophe et Londres fait partie des victimes. D’aucuns pensent qu’on a voulu liquider le journaliste qui en savait trop. Ses confidents, rescapés, meurent dans le crash de l’avion qui le ramène en France…
Quelques mois après la disparition du journaliste, Florise Londres (1904-1975) et d’anciens compagnons de route de son père créent le prix Albert-Londres, décerné encore aujourd’hui à des reporters travaillant dans la presse écrite et dans l’audiovisuel. Il leur faut pour cela se montrer fidèles à la devise d’Albert Londres : « Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie ».