Rencontres 2010 : Terre d’ Ebène

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L’esprit Albert Londres, une marque pour les grands reporters. Leur mission : être sur le terrain en bas de chez eux ou à l’autre bout du monde. Pour lever des silences.
Propos recueillis par Fabienne Faurie. Source : La Montagne
Le savoir-être du reporter face à l’événement a été retenu comme thème de l’un des débats (*) des Rencontres d’Albert Londres, parrainées par Laurent Bignolas. Le journaliste témoigne de l’importance « d’entretenir un questionnement et de foncer » !
Question : Vous allez animer ces rencontres. Pour un reporter, en 2010, le nom d’Albert Londres résonne encore ?
Réponse : Forcément, ça résonne. Le Prix Albert Londres est un prix mythique. Lorsque le nuage du volcan islandais a bloqué toutes les liaisons aériennes, on est revenu au temps d’Albert Londres. On s’est retrouvé dans une liberté de déplacement similaire. Il partait avec les moyens du bord explorer des terres méconnues. Il rapprochait des destinations lointaines. C’était un vrai choix. Ce qui reste de ça, c’est l’esprit Albert Londres, la curiosité de s’interroger sur l’autre. Il rendait compte d’un quotidien très différent. Il sentait les choses. Le monde bouge, il faut aller voir.
Q : Quelle est votre définition du grand reporter ? Il y a la rencontre, le partage des informations. Raconter un quotidien, dénoncer des choses. Aller là-bas pour voir ce que l’on nous cache, à l’autre bout de la terre, comme à 200 km de Paris.
R : On ne peut pas rester les bras croisés alors que l’on soupçonne quelque chose. C’est une forme d’engagement. On va sur le terrain pour que cela ne reste pas sous silence, il y a cette mission. Le reportage de Florence Aubenas à Ouistreham, en Normandie, c’est de l’Albert Londres.
Q : Après dix ans de magazine Faut pas rêver, qu’aimeriez vous transmettre ? Il faut entretenir ses neurones. Rester un homme engagé au service de l’espèce humaine, de sa dignité. Il y a des choses qui mûrissent après un certain nombre d’années d’expériences. Il n’y a pas eu un territoire en particulier

L’esprit d’Albert Londres est toujours en éveil comme en ont témoigné les reporters invités, hier, des Rencontres A. Londres.

Grands reporters, un film de Gilles de Maistre a ouvert, hier, les premières Rencontres Albert Londres. Ce documentaire fiction pour Arte a été tourné au Tchad, avec deux comédiens dans les rôles des reporters et des moyens techniques légers : une caméra, un preneur de son. Lors du débat qui s’ensuivait, Gilles de Maistre, grand reporter, précisait son choix :
« Le docu-fiction permet de franchir des portes fermées et de faire passer des messages avec des histoires simples. C’est le parcours initiatique d’un reporter. J’ai voulu raconter le ressenti, les émotions sur le terrain. Quand on débarque pour la première fois en Afrique, avec sa culture, on ne comprend rien à ce qui se passe. C’est plus possible au bout de vingt ans d’expériences et de terrain. »

La difficulté d’accès aux informations, les fausses pistes et, pour les reporters locaux en Afrique, les dangers encourus de celui qui veut raconter au monde ont été débattus. Laurent Bignolas rappelait notamment que deux journalistes français de France 3 Télévision étaient pris en otages depuis bientôt six mois en Afghanistan.
Lucie Umukundwa, journaliste Rwandaise, exilée : « Le reporter, c’est celui qui accepte de prendre des risques. Ce qui m’a poussé à faire ce métier, c’est ce que je voyais autour de moi. J’ai vécu le génocide, la première guerre au Congo, c’est ce qui m’a poussé à m’engager. On est plus exposé à l’insécurité que les journalistes étrangers car les gouvernements pensent qu’ils ne sauront pas ! ».

Freddy Mulungo, journaliste au Congo : « En République démocratique du Congo, on n’a pas le droit de prendre des photos. On peut se retrouver en prison, être exilé ou mourir pour cela. On ne peut pas départager le fait d’être grand reporter et journaliste d’investigation. »
Rémy Ngono, journaliste camerounais, exilé : « Mon père disait : « le coup de machette blesse, la langue tue ». J’ai choisi cette deuxième arme. J’ai été arrêté, emprisonné, tabassé. Il n’y a pas de droits de l’Homme. Je suis devenu journaliste vagabond ; je faisais mes émissions par téléphone car je ne pouvais plus accéder à la radio. La plupart des journalistes africains exilés ont troqué leur micro et leur stylo pour être veilleur de nuit. Il faudrait créer ici, une radio, une télévision qui permettent aux journalistes réfugiés de s’exprimer, d’émettre vers leur pays à partir de la France. La seule liberté, c’est de toujours nous battre pour avoir la liberté ! »
Gilles de Maistre : « Le métier de grand reporter, c’est une volonté de raconter le monde tel qu’il est. En fonction du régime politique en place, c’est plus ou moins difficile. Quand on entend les témoignages de ces journalistes, quand on est confronté à une dictature, à un état violent, il faut des couilles ! »

Freddy Mulongo : la voix des sans voix s’est tue.

En 2007, Freddy Mulongo fuit la République Démocratique du Congo. Journaliste, il préside l’Association des Radios communautaires du Congo (ARCO) qui en regroupe 230. Invité des Rencontres d’Albert Londres ce week-end, journaliste à Paris, pour l’Agence Africaine d’Information, il témoigne sur l’outil puissant qu’est une radio et les risques encourus quand on veut faire entendre une voix.
Question : Au Congo la radio serait le premier média ?
Réponse : C’est un pays immense qui connaît des problèmes de communication. La radio correspond le mieux à notre culture orale et jusqu’au fin fond du Congo, les habitants possèdent une radio.
Q : Après des études en France, vous revenez au Congo. Qu’est ce qui vous a incité à créer Réveil FM ? R : J’ai vécu la libération des ondes en France et la liberté de ton m’a fasciné. J’ai travaillé dans des radios en France, et c’est là qu’est né le projet de Réveil FM. Il s’est concrétisé seulement en 1999, à Kinshasa, car on était alors sous la dictature de Mobutu. On s’est battu pour la libération des ondes. Car, ensuite, sous Laurent Désiré Kabila, la loi sur la liberté d’expression n’était toujours pas appliquée.

Q : Pourquoi ce nom de Réveil FM ?

R : Les Congolais s’étaient endormis, il fallait se réveiller et réveiller les consciences pour prendre en main notre destin. Réveil FM pratiquait l’info de proximité. Il s’agissait de donner la parole à la population sans distinction. Ce n’était pas la politique par le haut mais par le bas.

Q : Vous avez subi des pressions ?
R : On nous a empêchés d’émettre en novembre 1999 puis, en septembre 2000, un arrêté du gouvernement interrompt toute diffusion durant trois mois. On nous dit que nous sommes une radio subversive, rebelle. On n’a pas baissé les bras, on a signalé notre situation à différents réseaux d’information sur le plan international. On avait accueilli dans notre studio, à Kinshasa, Robert Ménard de Reporters Sans Frontières. On prenait des risques en lui ouvrant le micro. À plusieurs reprises, en 2004 et 2005, nous avons fait des journées radio silence pour dénoncer le non-respect des Droits de l’Homme.

Q : Être en résistance, jusqu’à quel point ?
R : On nous a évoqué des raisons farfelues pour nous empêcher d’émettre, comme celle de brouiller les ondes de l’aéroport international. On nous a fait taire de différentes manières : par des coupures intempestives d’électricité par exemple. Ce qui a fait notre force, c’était la solidarité entre les radios au sein de l’ARCO. On était en pleine période électorale. Je suis devenu clandestin dans mon propre pays. Je vivais caché, ne sortais que la nuit. J’étais traqué. Je recevais des menaces anonymes. Je suis entré dans une spirale où tu arrives à ne plus avoir confiance en ton entourage. En 2007, j’ai quitté le Congo, je suis parti comme on va au marché?
Q : Réveil FM s’est donc tu ?
R : Oui, mais nous continuons sur le Net. L’exil n’est pas facile mais il permet un réarmement moral. On ne tue pas l’espérance ! Quant à mon retour au Congo, les régimes tombent comme des fruits alors ?

R : Dans mes voyages africains, j’ai perçu de ces rapports France-Afrique, des liens serrés, très proches et à la fois distendus. Aujourd’hui, soixante ans après la décolonisation, Albert Londres serait en Afrique.
Un reportage, c’est aussi la simplicité de ce qu’on ramène.
Albert Londres a donné une image de marque à notre boulot. Tous les rêves sont permis, il faut essayer de les réaliser. Être dans une logique du pourquoi pas. Ne pas craindre d’aller aussi vers une découverte personnelle. L’autre se raconte, donc se rencontre.